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Extrait

Épître dédicatoire

Louis-Sébastien Mercier, L'an 2440, 1771.
Dans l' Épître dédicatoire à son roman d'anticipation L'An 2440,  Louis-Sébastien Mercier annonce avec lyrisme et véhémence sa volonté de critiquer son époque mais affirme aussi sa foi en le progrès.

Auguste et respectable Année, qui dois amener la félicité sur la terre ; toi, hélas ? que je n’ai vue qu’en songe, quand tu viendras à jaillir du sein de l’éternité, ceux qui verront ton soleil fouleront aux pieds mes cendres et celles de trente générations, successivement éteintes et disparues dans le profond abîme de la mort. [...] La pensée survit à l’homme ; et voilà son plus glorieux apanage ! La pensée s’élève de son tombeau, prend un corps durable, immortel ; et tandis que les tonnerres du despotisme tombent et s’éteignent, la plume d’un écrivain franchit l’intervalle des temps, absout, ou punit les maîtres de l’univers

J’ai usé de l’empire que j’ai reçu en naissant ; j’ai cité devant ma raison solitaire les lois, les abus, les coutumes du pays où je vivais inconnu et obscur. J’ai connu cette haine vertueuse que l’être sensible doit à l’oppresseur : j’ai détesté la tyrannie, je l’ai flétrie, je l’ai combattue avec les forces qui étaient en mon pouvoir. Mais, auguste et respectable Année, j’ai eu beau, en te contemplant, élever, enflammer mes idées, elles ne seront peut-être à tes yeux que des idées de servitude.

Louis-Sébastien Mercier, L'an 2440 : Londres, 1771.
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